Bifurqueurs de l'info

✍️ Infolettre mensuelle d'un jeune journaliste qui tente de participer à la bifurcation de l’info et des médias. Des témoignages et des réflexions sur le travail journalistique pour agir.

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Par Hugo Coignard
7 juin · 4 mn à lire
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Comment j’ai enquêté sur ma propre école de journalisme

Dans Arrêt sur images, j'expliquais en février — témoignages à l’appui — comment la direction de l’école de journalisme de Sciences Po a mis la pression sur ses étudiant·es, entraînant souffrances, burnout et arrêts maladie depuis plus de dix ans. Une enquête qui n'allait pas soi, puisque c'est celle aussi sur ma propre école. Je vous raconte.

Les sourires sont tirés. Le crépitement de l’appareil photo vient les épingler. Le cliché terminera dans une chambre ou sur un post LinkedIn, comme le faire-valoir d’un statut social enfin acquis. Voilà mes camarades presque diplômés du master en journalisme de Sciences Po Paris, en juin 2022. Ils n’ont pas encore reçu le précieux sésame que l’Institut d’études politiques (IEP) de Paris organise déjà une « cérémonie de diplomation ».

Le 24 juin 2022, ma promotion est en représentation à la Philharmonie de Paris. Les étudiants en journalisme ne sont généralement pas les mieux apprêtés par rapport à leurs condisciples des autres masters, a soufflé l’école. Le mot est passé : smokings affutés et robes élancées étaient de sortie. C’est sur une scène bariolée de rouge et de blanc, à l’effigie de Sciences Po, que le minutieux défilé se déroule, comme chaque année.

En 2022, Mathias Vicherat, directeur de Sciences Po Paris à l'époque, présidait la cérémonie. (Captures d'écran YouTube/Sciences Po - Montage : Hugo Coignard)En 2022, Mathias Vicherat, directeur de Sciences Po Paris à l'époque, présidait la cérémonie. (Captures d'écran YouTube/Sciences Po - Montage : Hugo Coignard)

Les noms des étudiants, épelés un à un, résonnent. La chorégraphie est parfaite : apparaissant depuis les coulisses, chacun se succède sur l’estrade et les spectateurs applaudissent inlassablement. Le public leur est acquis : des proches, de la famille, des amis et du personnel de Sciences Po. Une écharpe rouge est apposée sur leur nuque, marquant symboliquement la fin de leurs études. Si certains rictus de mes camarades sont francs et généreux, je sais que beaucoup d’autres portent le masque de la bienséance. Plus les yeux sont plissés, plus ils dissimulent ce qui veut être oublié un instant durant une journée de fête : le stress, l’épuisement et, parfois même, la souffrance de deux années de master.

Un nom n’a pas résonné ce jour-là : le mien. J’observais cet étrange ballet depuis l’écran de mon ordinateur dans mon 14 m². J’ai séché ma cérémonie du diplôme. Ce n’était pas une décision prise sur un coup de tête. Ni même un coup d’éclat. C’était une absence discrète, en conscience. Cela faisait un an que j’enquêtais sur l’école de journalisme de Sciences Po, et j’en savais trop pour venir afficher mon plus beau sourire.

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