Bifurqueurs de l'info

✍️ Infolettre mensuelle d'un jeune journaliste qui tente de participer à la bifurcation de l’info et des médias. Des témoignages et des réflexions sur le travail journalistique pour agir.

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Par Hugo Coignard
2 juil. · 2 mn à lire
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Pourquoi j'ai honte d'être journaliste pendant ces législatives

Le traitement médiatique de ces élections a fait naître en moi un sentiment : la honte. En trois semaines de campagne législative, j'ai compris qu'il ne s'agit plus seulement des médias Bolloré. De BFM TV à France Télévisions, ces mots par où la catastrophe extrême-droitière arrive sont désormais partout. Je tenais donc à écrire ce texte. 👇

J’ai honte que des journalistes, des confrères très écoutés sur les télés et radios françaises, aient renoncé à faire leur métier : celui d’informer du mieux possible, en cherchant la vérité.

J’ai honte quand le journaliste David Pujadas, qui officie sur la chaîne d’info LCI, indique ne pas définir le Rassemblement national (RN) comme un parti d’extrême-droite, préférant utiliser l’euphémisme « ce qu’on appelle l’extrême-droite », sur Quotidien, le 28 juin. « En vérité, c’est un débat sans fin », balaie-t-il. En vérité, pourtant, il s’agirait de bien nommer les choses.

J’ai honte quand la journaliste Apolline de Malherbe de BFMTV/RMC, interrogée lors de la même émission, démissionne de sa mission d’information, en définissant uniquement les partis politiques… par leur nom. Qu’est-ce que le Rassemblement national ? Un parti politique. Fin de l’explication.

Je renoue avec l’espoir quand le journaliste Yaël Goosz de France Inter rappelle que le Conseil d’Etat a confirmé le choix du ministère de l’Intérieur de classer le RN comme un parti d’extrême-droite, et la France insoumise (LFI) comme étant de gauche (et non pas d’extrême-gauche), comme l’explique très bien 20 Minutes.

Mais la honte revient m’envahir quand j’apprends que des confrères écrivent sans réfléchir dans leurs articles “les extrêmes”, mettant dans le même sac des partis de gauche et d’extrême-droite. Non, le Nouveau front populaire, qui associe notamment le Parti socialiste (PS), Les Écologistes (EELV), le Parti communiste français (PCF) et LFI, n’est pas une alliance électorale d’extrême-gauche.

J’ai honte quand le journaliste Thierry Keller, co-fondateur du média Usbek & Rica, utilise l’expression “nazis de gauche” sur France 5, le 17 juin. « Il ne faut pas dire des mots comme ça », lui fait-on remarqué sur le plateau. « Je le fais, je n’en ai rien à foutre ! », répond-il, d’après l’extrait d’Arrêt sur images.

J’ai honte quand le journaliste Yves Calvi, reprend cette même expression sur BFM TV pour expliciter un propos de Marine Le Pen, le 26 juin.

J’ai honte que ces confrères bafouent la déontologie de mon métier, qui impose de « respecter la vérité » (Charte de Munich). Car oui, encore faut-il le rappeler, le nazisme est une idéologie d’extrême-droite, et non pas de gauche.

J’ai honte quand la direction de France Télévisions sanctionne des confrères de France 3, d’après Blast, pour avoir signé, avec 80 médias, une tribune contre l’extrême-droite et la menace qu’elle représente pour la liberté de la presse.

J’ai honte quand BFM TV décide de donner davantage la parole à des éditorialistes d’extrême-droite sous prétexte de vouloir « parler à tout le monde » (propos du patron de la chaîne, Marc-Olivier Fogiel, d’après Mediapart). Doit-on exposer des idées racistes à la télévision parce que certains téléspectateurs s’y retrouveraient ? Rien que par le fait de poser cette question, j’ai honte.

J’ai honte de ces médias qui ne cherchent plus la vérité, qui ont abdiqué devant la tyrannie des opinions et la course à l’audience.

J’ai honte, parce que l’on mérite tous d’être mieux informés.

« La catastrophe [de l’accession au pouvoir de l’extrême-droite] est venue par des mots dans des médias », énonçait Edwy Plenel, journaliste et cofondateur de Mediapart, le 27 juin, faisant références aux médias d’extrême-droite détenus par le milliardaire Vincent Bolloré (CNEWS, Europe 1, Le Journal du dimanche).

Désormais, ces mots par où la catastrophe arrive ne sont plus seulement l’apanage des médias Bolloré. Ce que je retiens de ces trois semaines de campagne législative, c’est qu’ils irriguent à présent le champ médiatique dans son ensemble.

Face à cette démission du journalisme, j’espère que ma profession toute entière sera se ressaisir dans l’entre-deux-tours de ces élections, pour dire non à ce traitement médiatique qui n’est pas à la hauteur de notre humanité.